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Jenny Holzer, « Alice Neel Teal », 2005 - repro œuvre (détail)

Jenny Holzer : « Je suis captivée par l’affection qu'Alice Neel porte à ses modèles. »

Alors que s'ouvre enfin la rétrospective-événement consacrée à Alice Neel, retour avec Jenny Holzer* sur le travail d'une peintre radicale, devenue l'une des icônes du féminisme. Communiste engagée, Alice Neel fut un temps fichée par le FBI : un événement qui fut une source d'inspiration  pour l'artiste conceptuelle américaine, dont l'œuvre Alice Neel Teal est présentée en préambule de l'exposition « Alice Neel, un regard engagé ».

± 5 min

Quand et comment avez-vous découvert Alice Neel ?
Jenny Holzer –
 Je connais et j’aime l'œuvre de Neel depuis des décennies, mais je ne me souviens pas de mon premier contact avec elle. Il est sûr qu’elle a suscité en moi un vif intérêt – et une certaine surprise –, car j’avais tendance à préférer l’art abstrait. Je doutais souvent que les œuvres figuratives puissent être actuelles et porteuses de sens. Neel m’a montré qu’il était idiot de se méfier de la représentation. Je me rappelle la première fois que j’ai vu son portrait de Joe Gould. J’ai reluqué le corps de Gould comme aurait pu le faire une ado venue de sa campagne. Le visage et les multiples pénis de Gould étaient des étoiles.

Je doutais souvent que les œuvres figuratives puissent être actuelles et porteuses de sens. Neel m’a montré qu’il était idiot de se méfier de la représentation.

Jenny Holzer

 

Qu’est-ce qui a éveillé votre intérêt ?
JH –
Neel m’a captivée par les couleurs tendres de sa palette (souvenez-vous du lilas qui jouxte le profil aquilin du poète Frank O’Hara), ses modèles dénudés, son parti pris d’appuyer les contours, sa résilience après la mort de sa fille et sa tentative de suicide, l’affection qu’elle porte à ses modèles, qu’il s’agisse de sa famille, de voisins ou des gens du demi-monde, son désir d’égalité, ses amours passionnées, sa vision parfois radioscopique.

Que pouvez-vous nous dire du travail que vous avez réalisé en 2005 sur le dossier monté par le FBI sur Neel ? Comment avez-vous découvert ce dossier et pour quelle raison avez-vous mené une recherche sur son passé communiste ?
JH –
 Quand j’ai cessé d’écrire mon propre texte, je me suis mise en quête de contenu et je suis tombée sur des informations sensibles autrefois confidentielles. J’ai trouvé un site Internet du FBI qui contenait des pages du dossier de Neel – je n’ai jamais pu retrouver ces pages depuis. Les renseignements se rapportant à ses opinions politiques étaient particulièrement mis en avant. La politique était visiblement centrale pour elle.

 

J’ai trouvé un site Internet du FBI qui contenait des pages du dossier de Neel – je n’ai jamais pu retrouver ces pages depuis. Les renseignements se rapportant à ses opinions politiques étaient particulièrement mis en avant. La politique était visiblement centrale pour elle.

Jenny Holzer

 

Je savais que le Bureau pistait les communistes américains, mais je me suis quand-même demandé pourquoi le FBI la surveillait. J’avais appris pas mal de choses sur l’ère McCarthy et le parti communiste américain en travaillant à un monument dédié aux scénaristes d’Hollywood inscrits sur liste noire, j’avais donc une idée du contexte quand j’ai consulté les documents relatifs à Neel sur le site du FBI. En plus des mentions de surveillance et d’un interrogatoire, il y avait des références gênantes à son physique.

Avez-vous ressenti de la solidarité à son égard ?
JH –
Je n’attends pas grand-chose de la solidarité, mais chez Neel j’apprécie beaucoup le sérieux, la résilience, le plaisir, l’engagement total, la compétence, l’audace, la persévérance, la recherche, la curieuse affection.

 

Vous avez abandonné la peinture ou l’idée d’image, même abstraite, à la fin des années 1970 pour vous tourner vers le langage. Le médium pictural était-il à vos yeux caduque ou inadapté pour véhiculer des messages politiques ? Ou bien trop discret, trop intime ?
JH –
J’ai abandonné la peinture parce que je n’arrivais pas à peindre correctement et que j’avais hâte de mieux faire. Je voulais de la peinture abstraite à contenu explicite, et au terme d’une inévitable série d’échecs je m’en suis remise au langage. Je suis revenue à la peinture et j’espère progresser.

 

En 1990, vous avez été la première artiste femme invitée à exposer dans le Pavillon américain à la Biennale de Venise. Vous avez présenté une œuvre plus personnelle qu’à votre habitude, Mother and Child, et vous avez remporté le Lion d’or. Alice Neel s’est intéressée elle aussi au thème de la maternité. Voyez-vous en elle une pionnière – en tant qu’artiste féministe, par exemple ?
JH –
Neel portait à ses enfants et petits-enfants un intérêt complexe et radical, qu’on pourrait sous-titrer : « Bien sûr que je suis subjuguée et tenue par mon enfant, son enfant, l’enfant. Et vous ? » Je pense à la mort de la fille de Neel, au temps qu’elle a passé en hôpital psychiatrique. Et aux hommes au milieu de tout ça. J’ai bien conscience de la nécessité et de la quasi-impossibilité de faire ce qu’il faut et suffisamment pour les enfants. ◼

* Entretien à retrouver dans le catalogue de l'exposition