Aller au contenu principal

Le Centre Pompidou &... Philippe Mangeot

Ex-président d'Act Up-Paris, co-fondateur de la revue politique et culturelle Vacarme, coscénariste du film 120 battements par minute, Phillipe Mangeot a été au cœur des luttes qui ont questionné la France de ces vingt dernières années. En 2018, à l'occasion du cinquantième anniversaire de Mai 68, il était l'invité intellectuel du Centre Pompidou. Rencontre avec un homme engagé.

± 4 min

Philippe Mangeot est l'une des voix les plus importantes de l’histoire des luttes des minorités en France. Militant (il a passé presque quinze ans à Act Up-Paris), il est aussi scénariste (il a écrit avec Robin Campillo le film 120 battements par minute, Grand prix du jury à Cannes en 2017), et même professeur de littérature. Un « parcours disparate », « sans œuvre à proprement parler, sauf à considérer qu’il y a quelque chose d’une œuvre dans ce disparate même – une volonté d’expérimenter des formes pour penser ce qui nous arrive », selon lui. En 2018, à l’invitation du Centre Pompidou, Philippe Mangeot se lance dans un nouveau projet : L’Observatoire des passions. Constatant que chacun a accès sur Internet à l’infini catalogue des passions humaines contemporaines – toutes considérations morales et légales mises à part – il reconfigure et repense le « traité des passions » hérité de l’âge classique. Philippe Mangeot : « Lorsque l’on m’a proposé d’être l’invité intellectuel du Centre Pompidou, j’ai hésité. Et puis l’historien Philippe Artières, qui avait été à cette place l’année précédente, a eu cette phrase qui m’a touché : "le Centre Pompidou, cela ne se refuse pas". Et en effet, c’est à mon sens la seule institution culturelle à laquelle on ne peut pas dire non. Mon Observatoire des passions a finalement duré deux ans au lieu d’un. » Il revient sur les liens forts qui l'unissent à ce lieu si particulier qu'est le Centre Pompidou.

 

 

« Le Centre Pompidou est un lieu intime pour ma génération. Je me souviens de l’ouverture, j’étais banlieusard à l’époque, et pour moi le Centre Pompidou c’était Paris ! C’était tout ce qu'il pouvait y avoir de désirable dans Paris. Le Centre Pompidou, on y va sans chercher quelque chose en particulier… On y va pour y aller, et on y trouve toujours quelque chose. 

 

Le Centre Pompidou est un lieu intime pour ma génération. Je me souviens de l’ouverture, j’étais banlieusard à l’époque, et pour moi le Centre Pompidou c’était Paris ! C’était tout ce qu'il pouvait y avoir de désirable dans Paris.

Philippe Mangeot

 

Je fais partie des "vieux" qui pensent que "c’était mieux avant"… Alors c’est vrai que je regrette un peu l’époque où l’on pouvait directement accéder au Musée lorsqu’on était à la Bibliothèque publique d'information (Bpi). J’aimais beaucoup aussi l’espace cafétéria au dernier étage, tout le monde se retrouvait là-haut (devenu depuis le restaurant Georges, ndlr). J’aimais profondément le Centre Pompidou comme lieu de circulation des corps, des disciplines, des savoirs.... Cet esprit s’est un peu perdu à la faveur de la rénovation de 1997, mais le Centre Pompidou reste un lieu où les traverses sont possibles. Il y a une résistance, une "amabilité" du Centre, qui a à la fois cette capacité à concentrer l’énergie de la ville et à la renvoyer ailleurs. C’est un des rares lieux qui discute en permanence avec son extérieur. Ses murs sont poreux, bien plus que dans aucun autre lieu parisien. C’est un lieu à part entière, mais c’est surtout une œuvre à part entière. Et je crois que la séduction vient de là. 

 

En parlant de séduction, le Centre a été pour moi un lieu de drague important… Il y a cette proximité avec le quartier du Marais qui était merveilleuse pour moi en tant que jeune gay. La Bpi par exemple, c’est ultra chaud ! Le Musée aussi c’est chaud, je vous assure, on peut s’y poursuivre dans les salles… Quand j’ai lancé L’Observatoire des passions, je voulais d’ailleurs faire une “carte passionnelle du Centre”, raconter ses lieux d’intensité. Le fait d’y avoir travaillé pendant deux ans a un peu changé mon rapport avec le Centre, il a perdu de son potentiel érotique, de sa magie, il s’est désacralisé. Mais pas totalement, heureusement. 

 

Le Centre a été pour moi un lieu de drague important… Il y a cette proximité avec le quartier du Marais qui était merveilleuse pour moi en tant que jeune gay. La Bpi par exemple, c’est ultra chaud ! Le Musée aussi c’est chaud, je vous assure, on peut s’y poursuivre dans les salles…

Philippe Mangeot

L’une de mes œuvres préférées n’est malheureusement plus accrochée au Musée. Elle se trouve désormais dans le bureau du président de la République actuel : on ne pourra la voir à nouveau que quand l’Élysée changera de locataire. Il s’agit d’Écriture rose de Simon Hantaï. Ce fut l’un des chocs esthétique de ma vie. C’est une œuvre déterminante pour Hantaï, l’œuvre d’un artiste alors en panne relative où se concentre pourtant le travail d’une vie. La densité de l’œuvre vient de ce qu’Hantaï a couvert, pendant un an, la toile de textes philosophiques et religieux, qui dans leur superposition confinent à l’illisibilité, en employant diverses couleurs à l’exception du rose, qui semble pourtant émaner directement de la toile. Cette toile, c’est un "trou rose", comme il y a des "trous noirs".

 

Une autre grande découverte de ma vie, ce sont les spectacles vivants au Centre Pompidou. J’y ai vu par exemple plusieurs créations d’Alain Buffard. Tout récemment, j’ai participé à un film sur Good Boy, le solo de Buffard qui a marqué l’histoire de la danse et du sida en France dans les années 1990. J’ai aussi le souvenir ébloui the The Clock, une installation vidéo de Christian Marclay (2010, ndlr) qui dure vingt-quatre heures… Il s’agit d’un montage d’images extraites de films à l’intérieur desquels il y a des horloges ou des montres… En fait le film lui-même est une horloge, si bien qu’à 11 h 23, il est aussi 11 h 23 dans le film… C’est une très grande œuvre des vingt dernières années. Je suis passé à différents moments des vingt-quatre heures de projection, et si l'après-midi il ne se passe pas grand-chose, je peux vous dire qu’à quatre heures du matin, dans le monde du cinéma, on baise ou on assassine ! ». ◼