Skip to main content

René Magritte

De la lettre à l'image

Une image n’est pas la « chose » et son nom pas davantage. Image et mot sont deux systèmes de notation qui ne se confondent pas avec le réel. Pour piéger le regard, interroger la perception, Magritte invente de nombreux effets visuels : un rocher qui flotte dans le ciel, un nuage qui pèse sur le sol, un corps qui se métamorphose en pierre et réciproquement, la nuit qui devient lumière et la lumière obscurité… Dans les années 1928-1930, Magritte s’intéresse en particulier aux troubles que crée la confrontation des images et des mots. 

 

Dans Querelle des universaux, quatre formes sombres occupent un espace légèrement en perspective, de la profondeur d’une table, comme pour une nature morte. Sur chacune un mot est écrit ou plutôt peint, comme le souligne Michel Foucault dans son célèbre article Ceci n’est pas une pipe (Paris, Éditions Fata Morgana, 1972). Des mots choisis au hasard ? Impossible ! La forme sur laquelle le mot « feuillage » est peint évoque un arrière-plan qui serait un paysage, quelque chose comme une réalité globale, sans détail. Le mot « miroir », au premier plan, en ne renvoyant rien, frustre le spectateur et semble lui poser la question de son identité et de sa ressemblance. Quant au mot « canon », il est tiraillé entre ses différentes définitions : modèle − règle ou femme-canon −, chant en canon, pièce d’artillerie, petit verre de comptoir… Aucune forme ne peut, comme un mot (simple signifiant), renvoyer à autant de signifiés. La forme qui porte le mot « cheval » est plus expressive, elle fait preuve d’une certaine élégance, tandis que les lettres du mot cheval montent comme une crinière… 

Comme tout objet réel, ces quatre formes ont des ombres. En leur centre, est représentée une étoile qui, elle, n’a pas plus d’ombre que de nom. Bien que peinte, elle fait penser à un papier plié dans la tradition de l’origami. Sa construction géométrique est rigoureuse. S’agit-il du pentagramme de l’absolu, connu des penseurs ésotériques, symbole de la lumière pour qui cherche à s’orienter dans le monde spirituel et physique ? 

 

Revenons-en au titre du tableau. La Querelle des universaux renvoie aux philosophes Platon et Aristote qui ont divisé les penseurs du Moyen Âge entre les 12e et 14e siècles, querelle qui réapparaît sous une autre forme au 20e siècle avec la philosophie du langage. Les universaux, ce sont les idées générales, telles que les donnait à penser Platon dans son mythe de la caverne, les idées étant la vraie réalité dont dérive l’être des choses dans le monde. Mais rien dans l’expérience ne correspond à ces termes généraux. Pour Aristote, la matière existe, mais seulement « en puissance », virtuellement, attendant que la forme (ou le mot qui est un moule) l’actualise, c’est-à-dire la fasse « être en acte ». Après Platon et Aristote, les stoïciens, pour qui les perceptions sensibles sont source de tout notre savoir, diront : je vois le cheval mais non la chevalité […] Ce n’est sans doute pas sans raison que Magritte peint le mot « cheval », il doit connaître ses classiques !


René Magritte en 7 dates

1898 Naît à Lessines, Belgique
1921 Travaille pour l’usine de papiers peints Peters Lacroix
1924 Participe à la revue 391 de Francis Picabia
1926 Co-fonde le mouvement surréaliste belge
1929 Peint La Trahison des images, avec une pipe
1931 Commence une activité de publicitaire
1967 Meurt à Bruxelles, Belgique
 


Pour aller plus loin

Dans la collection du musée national d'art moderne

Les œuvres de René Magritte